Fouchet Opt4
14/11/2011
Méthodes cliniques en institution
Intervention de Jean‐Marc Josson, directeur du centre ENADEN
Le centre Enaden a été crée en 1982 par Marc de Vos en réponse à l’exclusion des toxicomanes des
centres de santé mentale.
Les conséquences de certaines consommations de drogues peuvent amener les sujets vers le centre.
Comment aborder cette clinique de la consommation ?
Difficultés du centre : comment comprendre les rechutes, les overdoses, l’agressivité, passage à
l’acte, brusque départ de l’institution,… ?
•
Fonction de la drogue
Il est important de prendre conscience de la fonction de la drogue chez le sujet pour cerner ce que la
drogue traite. Quel est « l’insupportable » du sujet que la drogue doit faire oublier ? Freud décrit la
drogue à partir de sa fonction.
Lacan cherche à tous prix à se tenir au plus près de la condition humaine.
« Il n’y a pas de rapport sexuel » l’homme ne dispose d’aucun programme génétique, de mode
d’emploi dans les relations sociales car il est parasité par le langage (>< animaux).
L’homme n’est jamais bien portant, il est toujours malade aucune guérison n’est possible (cfr
Philippe Binet). Lacan reconsidère donc le symptôme, c’est ce qui permet de faire tenir le nœud
ensemble dans le cadre d’une clinique borroméenne.
Chaque être humain prend appui sur un symptome pour supporter l’existence, c’est « normal ». le
centre Enaden se base sur cette approche. La drogue permettrait donc au sujet d’être insensible à sa
détresse, à l’incurable.
De fait, chaque cas doit être construit. On prend en compte la clinique du sujet, l’ensemble de sa
dynamique d’existence pour déterminer la position subjective du sujet.
Dans certains cas, la drogue peut servir de « justification », de « paravent » face à une possible
maladie mentale : « je suis toxicomane mais pas fou », « j’entends des voix mais c’est à cause du
LSD ».
Cas clinique
Melle L est agée d’une vingtaine d’années, elle a déjà séjourné 2 fois au centre Enaden ainsi que dans
un hopital psychiatrique pendant 1 an et demi. Quotidiennement, elle consomme de la cocaïne, de
l’héroïne, 50g de méthadone, 40 canettes de bière et des benzodiazépines.
1
14/11/2011
Melle L fut placée à 2 ans dans une institution car sa mère était trop dépressive pour pouvoir
s’occuper de son enfant. Ensuite, elle fut ballotée de foyer en foyer, abusée physiquement et
moralement à tel point qu’elle demanda son émancipation à 16 ans. C’est à ce moment qu’elle
tombe dans la drogue.
À 18 ans, elle finit ses études et travaille dans un home pour personnes agées mais se fait renvoyer
car elle arrive saoule sur son lieu de travail.
À 22 ans, elle tombe enceinte et est placée dans une unité « mère‐enfant » en hôpital psychiatrique.
Par la suite, son enfant lui est enlevé et est placé par le service d’aide à la jeunesse.
Ensuite, elle rencontre un homme, emménage avec lui mais il décède et elle est alors « recueillie »
par le père de cet homme.
Ce qui frappe dans ce récit de vie, c’est la détresse, l’égarement de cette jeune femme. Mais quelle
est la cause de cet égarement ?
Au centre Enaden, on conceptualise la clinique du sujet à partir de l’objet a.
Dans la psychose, l’autre est trop là, trop présent mais lorsque l’autre n’est plus là, le sujet tombe
dans une certaine mélancolie.
Schéma de Zenoni
Névrose
Psychose
Réel
$
a
Semblant (autre,langage)
a
(…)
Dans la névrose, le sujet est divisé, il manque à l’être. La jouissance est ici transférée dans le champ
de l’autre.
Dans la psychose, il n’y a pas de séparation entre le sujet et la jouissance. La dimension de l’autre est
vide car non investie par le sujet.
La différence névrose/psychose repose surtout sur un examen de ce qui se déroule dans l’autre. On
examine le contexte, la manière dont la personne a été accueillie dans le monde. Tout ça repose
également sur le postulat selon lequel le sujet est responsable de son détachement de rôle d’objet
de l’autre.
Melle L a toujours eu à subir un rôle d’objet objet abandonné, mis de coté. Il y a, chez ce sujet,
une inexistence de tout désir. Quelque chose est touché du coté du sentiment de vie, ce qui affecte
le désir et la motivation. L’enfant qu’elle a eu était clairement de trop pour elle, n’est ce pas son
ressenti propre d’être toujours en trop dans le monde ?
2
14/11/2011
La consommation peut avoir 2 statuts :
‐
‐
Un usage pour rompre : tentative de créer une coupure entre le sujet et son statut d’objet de
l’autre.
Un usage pour lier : pallier au manque de désir, au manque de « vie » = mettre le sujet en
mouvement (par ex : cocaïne qui donne de l’énergie).
•
Causes du recours à l’institution
La 1ère cause de recours est rarement la consommation de drogue en elle‐même. En effet, la
consommation de drogue est, pour le sujet, une solution qui marche et qu’il aime.
C’est souvent quand la drogue change de statut pour le sujet, quand elle devient toxique pour lui et
qu’elle constitue alors un passage à l’acte il y a alors une interrogation sur le pourquoi de ce
changement de statut.
•
Fonctions de l’institution
Sa fonction ne peut pas être réduite au sevrage. Une de ses 1ères fonctions est d’éviter le passage à
l’acte, le clash. Quand la consommation devient un ravage, on vise surtout la pulsion de mort mais
pas tellement le toxique en lui‐même. Il s’agit alors de traiter la pulsion de mort qui est à l’œuvre.
L’essentiel n’est pas que le sujet arrête de consommer mais que sa consommation soit moins
ravageuse.
Ce qu’il faut prendre en compte, ce n’est pas tant la toxicomanie mais ce qu’elle tente de traiter. Le
but est alors d’aider le sujet à mettre une alternative en place. L’institution doit donc border la
jouissance mais ne doit pas répondre à la place du sujet métaphore du vase de Lao Tseu : « On
façonne l'argile pour en faire des vases, et là où il n'y a que le vide se trouve l'efficacité du vase ».
Le travailleur doit éviter de prendre un rôle dans le transfert. Il veille à ne pas incarner une figure de
l’autre à laquelle le sujet ne peut faire face ; une figure qui pousserait le sujet à consommer.
À son arrivée à l’institution, Melle L change totalement de position ; elle passe d’une position de
déchet à une position où les autres l’aiment. Elle aime être à l’institution, elle s’y sent comme un
poisson dans l’eau. Elle met en place une certaine érotomanie qui prend un tout petit peu le rôle de
la drogue. Or, cette érotomanie ne tient que dans l’institution ; en dehors de l’institution, elle
sombre. Cet « auto‐traitement » ne l’empêche cependant pas de consommer. Sa consommation
d’héroïne (que son petit‐ami lui apporte) indique quelque part la faille de son érotomanie. Pq ? Parce
que quand son petit‐ami replonge dans la drogue, il n’écoute plus ses conseils et du coup, elle
retourne à sa position de déchet.
3
14/11/2011
Ce qui fait le poids, c’est la construction du cas. Chaque élaboration vient du désir de l’intervenant. Il
faut accueillir l’intraitable le temps qu’il faut.
Il est parfois plus bénéfique de se rendre compte d’un élément qu’on ne peut pas changer, pas guérir
plutôt que de tenter de le guérir à tous prix. Il faut parfois accepter de ne pouvoir guérir quelque
chose = cerner les points d’incurable. Ces points vont pousser le sujet à l’invention. L’invention est ce
que Lacan appelle le symptôme.
4